Marseille, 16 décembre 2023
Je veux brièvement indiquer les conditions de ma rencontre avec Michèle. Et témoigner, à partir de ce contexte, de mon admiration pour ce qu’elle nous a apporté au cours de nos combats partagés, et de ce qu’elle nous laisse en héritage pour éclairer nos engagements actuels et à venir.
Je suis membre de l’Association Zones Blanches (AZB) que Michèle a créée et préside depuis 2014. C’est l’un des outils qu’elle avait mis sur pied pour mettre au grand jour la cause des personnes souffrant d’intolérance aux ondes électromagnétiques artificielles, les électro hypersensibles (EHS). Antérieurement, Michèle avait contribué à créer le CRIIREM, « centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques non ionisants ». Le combat de Michèle dans le domaine de la santé environnementale était davantage connu sur d’autres thèmes.
Je connaissais Michèle de réputation et ce depuis 1987, l’année du nuage de Tchernobyl, arrêté à la frontière par décision du gouvernement…! La dénonciation des mensonges d’Etat sur le nucléaire et la création par Michèle de la Criirad, centre de recherche indépendant, avait jeté la lumière sur cette femme combattante, s’appuyant sur la science et l’expertise indépendante pour affronter les forces des puissants lobbies de l’industrie du nucléaire.
La pollution électromagnétique, ses effets sur le vivant et les dégâts sanitaires que provoque la communication sans fil par la prolifération des ondes électromagnétiques pulsées est le domaine dans lequel mon chemin a croisé la démarche de Michèle, chef de file politique d’un combat difficile mené en France et au niveau européen.
Je rappelle que l’Etat en France ne reconnait toujours pas le lien de causalité entre les symptômes dont souffrent les EHS et l’exposition aux ondes artificielles alors que de multiples recherches indépendantes, en France comme à l’étranger, apportent la preuve contraire.
La pollution électromagnétique est l’une des plus difficiles à combattre : d’une part elle est invisible et d’autre part elle est liée à des habitus sociaux très forts (Qui acceptent de limiter l’utilisation de son portable, l’accès par le Wifi, par la téléradio aux communications avec le monde ? Quel maire de commune est prêt à accepter que son territoire soit en zone blanche ? Sans parler, aussi et surtout, des immenses conflits d’intérêt avec les enjeux financiers considérables des opérateurs de téléphonie sans fil et de communication par l’informatique.
Michèle n’ignorait pas ces difficultés, raison de plus pour elle de les affronter si l’on voulait prendre au sérieux la santé publique et la survie de nombreuses victimes des ondes électromagnétiques artificielles. Sa détermination et son engagement sur la durée envers les EHS se nourrissaient de la rencontre et de l’écoute des personnes victimes des ondes. C’est en ce point que nos chemins se sont croisés.
En 2015, je rencontrai dans les Alpes de Haute Provence une jeune femme, EHS extrême, vivant dans une cabane forestière dans le vallon de Mouresse, en pleine forêt du Montdenier, isolée de tout, dans la plus grande précarité et insécurité. C’était pour elle un lieu de refuge relativement abrité de la pollution électromagnétique. Dépendante de la solidarité de quelques 3 ou 4 personnes, ignorée des services sociaux, sans accès aux soins, non reconnue par les services de l’Etat, elle était là, dans une sorte de prison sans murs dont elle ne pouvait sortir sans risque de souffrances insupportables liées à l’impact des ondes. A son contact et ce pendant des années, j’ai beaucoup appris sur la problématique des EHS, sur les symptômes physiologiques et sur le handicap social d’exclusion de la société. J’ai exploré alors la littérature sur cette problématique que je découvrais. Ma première lecture, je la dois à Emma qui m’a signalé les actes d’un colloque intitulé « Pour la reconnaissance de l’électro sensibilité », organisé par Michèle Rivasi et Laurence Abeille en février 2016 à l’Assemblée nationale. J’en recommande la lecture. Ce fut le point de départ de ma rencontre avec Michèle et avec le noyau actif de l’association Zones Blanches dont je rejoignais le conseil d’administration en 2018.
De ces années de partage avec l’équipe animée par Michèle pour faire valoir les droits des EHS et pour faire reconnaître les enjeux de santé publique que recouvre la pollution électromagnétique, je retiens les principaux traits qui constituent l’hommage que je lui rends aujourd’hui devant vous.
Michèle, femme de cœur et de courage, remarquable de simplicité et de bienveillance, une femme de terrain allant à la rencontre des personnes qui vivent dans des conditions parfois innommables de souffrances physiques et d’isolement social
Ainsi en 2012 va-t-elle rendre visite à 2 femmes (Anne et Anne-Marie) qui, pour échapper à l’impact des ondes, se sont réfugiées dans une grotte en montagne (la grotte de Baumuge, sur la commune de saint Julien en Beauchène (05). Elle est révoltée en voyant les conditions de précarité matérielle et d’exclusion sociale dans lesquelles se trouvent ces 2 femmes.
Déjà en 2010, elle soutient une action d’occupation de la forêt de Seou, dans la Drôme, par un bon nombre d’EHS-MCS qui revendiquent « Une terre pour les EHS »
Tout au long de la période 2014-2023 elle se rend plusieurs fois auprès de personnes vivant dans la plus grande précarité et insécurité, dans des caravanes, ou autres abris de fortune, en forêt ou dans un vallon montagneux. Ces personnes sont de plus en plus menacées par l’implantation de nouvelles antennes radio qui viennent impactées leur lieu de refuge (cf. le plan new deal de l’Etat avec les 4 opérateurs de téléphonie mobile pour supprimer toutes zones blanches en France). Elles ne savent plus où aller se réfugier. Interpellée sur certains cas lourds, Michèle va sur le terrain, rencontre les autorités locales et demandent, avec insistance, des réponses concrètes à des situations d’urgence. J’ai pu le vérifier dans plusieurs circonstances.
Encore en juillet dernier, à Digne, à la suite de nombreux courriers et en lien avec un comité de soutien local à Philippe Tribaudeau, personne EHS menacée par l’implantation d’une nouvelle antenne, elle obtient du Préfet un moratoire et un engagement à rechercher une sortie positive (affaire est en cours).
Dans les dernières années, Michèle lance des appels aux victimes de la pollution électro magnétique : « montrez-vous, sortez de l’ombre, faites connaître votre handicap, exigez la prise en compte de vos difficultés devant les Maisons Départementales Pour Handicapés, faites valoir vos droits, participez au travail de reconnaissance de l’électro hypersensibilité.
Michèle, femme de projet et d’actions.
En 2014, je l’ai dit, elle crée AZB comme outil d’action en lien direct avec le monde des électro hypersensibles. Sur un coin de table d’un café à la gare TGV de Valence, elle dessine des avant- projets de zones blanches : des lieux peu impactés par les ondes, à aménager pour servir de refuges pour des EHS, mais aussi des lieux d’observation, de diagnostic et de recherche pour faire avancer la connaissance et la reconnaissance de ce nouveau fléau de santé publique : Accueillir, soigner et faire reconnaitre par la recherche les EHS.
De 2018 à 2021, Elle mobilise des institutions, des moyens financiers, des compétences dans divers domaines (santé, architecture, travaux publics…) pour étudier la faisabilité d’une grande Zone Blanche aménagée sur le plateau de Durbon (commune de Saint Julien en Beauchène 05) ; Le projet est sérieusement étudié ; il s’agit de récupérer et réhabiliter des bâtiments à l’abandon dans une ancienne chartreuse à 1300 m d’altitude, ayant servi à des colonies de vacances et mis en vente par la CAF de Marseille. Le projet est suspendu depuis 2 ans par manque d’appui des autorités locales et préfectorales.
Mais le combat continue : la recherche de projets de sites aménagés se poursuit dans plusieurs départements en lien avec des acteurs locaux pour des zones aménagées de moindre dimension, plus décentralisées. Des terres de ressourcement à bâtir avec l’investissement des EHS eux-mêmes.
Michèle, une femme de combat politique, qui ne lâche jamais le morceau
En 2019, auprès de la préfecture des Hautes Alpes, Michèle intervient auprès des autorités locales pour soutenir le combat des EHS sur le territoire. Je me souviens de son intervention auprès de la préfète des Hautes Alpes pour faire prendre en considération la situation très périlleuse dans laquelle se trouvait cette jeune femme EHS vivant dans un vallon du Dévoluy, menacée par un projet d’antenne risquant d’impacter son dernier refuge possible. Par son intervention elle donnait de la force au collectif des habitants opposés à l’implantation de la nouvelle antenne. La résistance s’est organisée sur plus d’une année, aboutissant, une fois n’est pas coutume, à un retrait du projet d’antenne sur la commune de Montmaur (C’était juste avant les ordonnances de mars 2020 permettant aux opérateurs de contourner les autorisations des maires pour les choix d’implantation des nouvelles antennes radio).
En 2021-2023, auprès de la préfecture des Alpes de Haute Provence, la même démarche est engagée. Je l’ai évoqué précédemment. Michèle agit sur la durée. Elle inspire le respect de tous ces interlocuteurs par sa capacité d’écoute sur le terrain, sa détermination, sa rigueur et sa force de conviction, autant de qualités mise en œuvre en faveur de ceux qui souffrent d’une politique qui nie les méfaits sur leur santé des technologies de communication sans fil.
Au niveau européen, Michèle Rivasi était une des très rares « politiques » à avoir conscience des dégâts sanitaires provoqués par les ondes électromagnétiques artificielles. En bonne scientifique, elle s’appuyait toujours sur des faits et des recherches non truquées pour combattre les « négationnistes » financés par les industriels du secteur de la téléphonie mobile niant les effets biologiques des OEM et leur impact en cancérologie. Sa qualité de scientifique, sa rigueur dans l’argumentation forçaient le respect de ses interlocuteurs.
En 2023, Michèle Rivasi porte à nouveau la question des OEM à l’échelle européenne. Deux ateliers sont organisés en février puis en avril : l’un sur les enjeux des ondes : pour témoigner des situations alarmantes que vivent les EHS /MCS, en partenariat avec la coalition « Europeans for safe Connections ». L’autre sur les EHS et l’état de la science.
J’ai voulu dire quelques mots sur le combat mené par Michèle pour faire reconnaitre l’EHS et prendre au sérieux les conditions de vie difficiles et parfois inhumaines des victimes des rayonnements électromagnétiques. Dire aussi que la démarche initiée et développée par Michèle Rivasi, avec notamment l’association Zones Blanches, ne s’éteindra pas avec elle. D’autant plus que le mal s’étend. De plus en plus de personnes sont déclarées EHS et subissent un handicap réel. L’ANSES dans son dernier rapport de mars 2018 évaluait déjà la prévalence en France de l’ordre de 5% de la population (près de 3,5 millions de personnes).
Et pour conclure, je retiendrai, outre les sentiments de chaleur humaine qui se dégage de la personnalité de Michèle, trois de ses apports fondamentaux :
• Michèle, sur la question de la pollution électromagnétique et de l’électro sensibilité comme enjeu de santé publique, nous a ouvert les portes du monde politique et institutionnel. Merci !
• Michèle, reconnue pour ses compétences scientifiques, relationnelles et pédagogiques a permis de rendre visible la réalité des personnes EHS souvent cachées, mises à l’écart de la société, laissés pour compte par l’Etat. Des avancées existent aujourd’hui, notamment pour la reconnaissance du handicap par les MDPH dans les départements.
• Michèle, par son authenticité, sa franchise, son franc parlé, son accessibilité, sa rigueur, son courage politique, sa liberté de penser, nous laisse un modèle d’action politique, une méthode. A nous de nous en saisir ; l’héritage est précieux !
Avec quel relai politique ? Michèle, déjà tu nous manques…
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